Nietzsche - Ainsi parla Zarathoustra
Qu'importe mon bonheur! Il est pauvreté, ordure et pitoyable contentement de
soi-même.
J'aime ceux qui ne savent vivre autrement que pour disparaître
J'aime celui qui vit pour connaître
J'aime celui qui ne réserve pour lui-même aucune parcelle de son
esprit, mais qui veut être tout entier l'esprit de sa vertu: car c'est
ainsi qu'en esprit il traverse le pont.
J'aime celui qui est libre de coeur et d'esprit: ainsi sa tête ne sert
que d'entrailles à son coeur, mais son coeur l'entraîne au déclin.
J'aime tous ceux qui sont comme de lourdes gouttes qui tombent une à
une du sombre nuage suspendu sur les hommes: elles annoncent l'éclair
qui vient, et disparaissent en visionnaires.
On ne devient plus ni pauvre ni riche: ce sont deux choses trop
pénibles.
Inquiétante est la vie humaine et, de plus, toujours dénuée de sens
Viens, compagnon rigide et glacé! Je te porte à l'endroit où je vais t'enterrer
de mes mains.
N'est-ce pas cela: s'humilier pour faire souffrir son orgueil? Faire
luire sa folie pour tourner en dérision sa sagesse?
Ou bien est-ce cela: se nourrir des glands et de l'herbe de la
connaissance, et souffrir la faim dans son âme, pour l'amour de la
vérité?
L'enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui
roule sur elle-même, un premier mouvement, une sainte affirmation.
Ce n'est pas une petite chose que de savoir dormir: il faut savoir
veiller tout le jour pour pouvoir bien dormir.
Est-ce ma faute, si le pouvoir aime à marcher sur des jambes boiteuses?
L'oeuvre d'un dieu souffrant et tourmenté, tel lui parut alors le monde.
Bien et mal, et joie et peine, et moi et toi, - c'étaient là pour moi
des vapeurs coloriées devant les yeux d'un créateur. Le créateur
voulait détourner les yeux de lui-même, - alors, il créa le monde.
Hélas, mes frères, ce dieu que j'ai créé était oeuvre faite de main
humaine et folie humaine, comme sont tous les dieux.
cette fatigue pauvre et ignorante qui ne veut même plus vouloir: c'est elle qui
créa tous les dieux
L'homme est quelque chose qui doit être surmonté: c'est pourquoi il te
faut aimer tes vertus - car tu périras par tes vertus.
Vraiment, je voudrais que cette folie s'appelât vérité, ou fidélité, ou
justice: mais leur vertu consiste à vivre longtemps dans un misérable
contentement de soi.
De tout ce qui est écrit, je n'aime que ce que l'on écrit avec son
propre sang.
je haïs tous les paresseux qui lisent.
Vous regardez en haut quand vous aspirez à l'élévation. Et moi je
regarde en bas puisque je suis élevé.
La vie est dure à porter: mais n'ayez donc pas l'air si tendre! Nous
sommes tous des ânes et des ânesses chargés de fardeaux.
Il y a toujours un peu de folie dans l'amour. Mais il y a toujours un
peu de raison dans la folie.
Tes chiens sauvages veulent être libres; ils aboient de joie dans leur
cave, quand ton esprit tend à ouvrir toutes les prisons.
Mais par mon amour et par mon espoir, je t'en conjure: ne jette pas
loin de toi le héros qui est dans ton âme!
La terre est pleine de superflus, la vie est gâtée par ceux qui sont de
trop.
La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l'amour du
prochain.
Votre plus haute pensée, permettez que je vous la commande - la voici:
l'homme est quelque chose qui doit être surmonté.
Beaucoup trop d'hommes viennent au monde: l'État a été inventé pour
ceux qui sont superflus!
"Il n'y a rien de plus grand que moi sur la terre: je suis le doigt
ordonnateur de Dieu"
Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres.
Innombrables sont ces petits et ces pitoyables; et maint édifice altier
fut détruit par des gouttes de pluie et des mauvaises herbes.
Tu n'es pas une pierre, mais déjà des gouttes nombreuses t'ont
crevassé. Des gouttes nombreuses te fêleront et te briseront encore.
Est-ce que je vous conseille l'amour du prochain? Plutôt encore je
vous conseillerais la fuite du prochain et l'amour du lointain!
"Les rapports avec les hommes gâtent le caractère, surtout quand on n'en a pas."
Que l'avenir et la chose la plus lointaine soient pour toi la cause de ton
aujourd'hui
Peux-tu te fixer à toi-même ton bien et ton mal et suspendre ta volonté
au-dessus de toi comme une loi? Peux-tu être ton propre juge et le
vengeur de ta propre loi?
Pourtant ta solitude te fatiguera un jour, ta fierté se courbera et ton
courage grincera des dents. Tu crieras un jour: "Je suis seul!"
Tu crieras un jour: "Tout est faux!"
Mais le plus dangereux ennemis que tu puisses rencontrer sera toujours toi-même;
Va dans ta solitude avec mes larmes, ô mon frère. J'aime celui qui veut créer
plus haut que lui-même et qui périt ainsi.
Il y en a beaucoup qui meurent trop tard et quelques-uns qui meurent trop tôt.
Nous luttons encore pied à pied avec le géant hasard et, sur toute l'humanité,
jusqu'à présent le non-sens régnait encore.
Veillez et écoutez, solitaires. Des souffles aux essors secrets viennent de
l'avenir; un joyeux messager cherche de fines oreilles.
L'homme qui cherche la connaissance ne doit pas seulement savoir aimer ses
ennemis, mais aussi haïr ses amis.
On n'a que peu de reconnaissance pour un maître, quand on reste toujours élève.
Et pourquoi ne voulez-vous pas déchirer ma couronne?
Mais lorsque j'ai regardé dans le miroir, j'ai poussé un cri et mon
coeur s'est ébranlé: car ce n'était pas moi que j'y avais vu, mais la
face grimaçante et le rire sarcastique d'un démon.
Créer - c'est la grande délivrance de la douleur, et l'allègement de la
vie. Mais afin que naisse le créateur, il faut beaucoup de douleurs et
de métamorphoses.
je connais les dernières heures qui brisent le coeur.
"Celui qui cherche la connaissance passe au milieu des hommes, comme on passe
parmi les bêtes."
Il est difficile de vivre avec les hommes, puisqu'il est difficile de garder le
silence.
Ainsi me dit un jour le diable: "Dieu aussi a son enfer: c'est son amour des hommes."
Que tous les secrets de votre âme paraissent à la lumière; et quand
vous serez étendus au soleil, dépouillés et brisés, votre mensonge
aussi sera séparé de votre vérité.
Et quand ils disent: "Je suis juste", cela sonne toujours comme: "Je suis
vengé!"
Les fontaines empoisonnées, les feux puants, les rêves souillés et les
vers dans le pain sont-ils nécessaires?
Et j'ai tourné le dos aux dominateurs, lorsque je vis ce qu'ils appellent
aujourd'hui dominer: trafiquer et marchander la puissance
Péniblement et avec prudence mon esprit a monté des degrés; les aumônes
de la joie furent sa consolation; la vie de l'aveugle s'écoulait,
appuyée sur un bâton.
Et nous voulons vivre au-dessus d'eux comme des vents forts, voisins
des aigles, voisins du soleil: ainsi vivent les vents forts.
Car il faut _que l'homme soit sauvé de la vengeance:_ ceci est pour moi
le pont qui mène aux plus hauts espoirs. C'est un arc-en-ciel après de
longs orages.
"C'est précisément ce que nous appelons justice, quand le monde se remplit des
orages de notre vengeance"
C'est avec ces prédicateurs de l'égalité que je ne veux pas être mêlé
et confondu. Car ainsi _me_ parle la justice: "Les hommes ne sont pas
égaux."
Ici les voûtes et les arceaux se brisent divinement dans la lutte: la
lumière et l'ombre se combattent en un divin effort.-
Affamée, violente, solitaire, sans Dieu: ainsi se veut la volonté du
lion.
Car ainsi parle la vertu: "S'il faut que tu sois serviteur, cherche celui à qui
tes services seront le plus utiles!
Pareille à la voile que fait trembler l'impétuosité de l'esprit, ma sagesse
passe sur la mer
Bien des soleils gravitent dans l'espace désert: leur lumière parle à
tout ce qui est ténèbres, - c'est pour moi seul qu'ils se taisent.
Il est vrai que je suis une forêt pleine de ténèbres et de grands
arbres sombres; mais qui ne craint pas mes ténèbres trouvera sous mes
cyprès des sentiers fleuris de roses.
Un jour j'ai contemplé tes yeux, ô vie! Et il me semblait tomber dans
un abîme insondable!
Je n'aime du fond du coeur que la vie - et, en vérité, je ne l'aime jamais tant
que quand je la déteste!
Pourquoi? A quoi bon? De quoi? Où vas-tu? Où? Comment? N'est-ce pas folie
que de vivre encore?
Vous, images et visions de ma jeunesse! O regards d'amour, moments
divins! comme vous vous êtes vite évanouis! Aujourd'hui je songe à
vous comme je songe aux morts que j'aimais.
je célébrai des victoires où je m'étais vaincu moi-même
Oui! il y a en moi quelque chose d'invulnérable, quelque chose qu'on ne
peut enterrer et qui fait sauter les rochers: cela s'appelle _ma
volonté._ Cela passe à travers les années, silencieux et immuable.
Vous voulez créer un monde devant lequel vous puissiez vous
agenouiller, c'est là votre dernier espoir et votre dernière ivresse.
on commande à celui qui ne sait pas s'obéir à lui-même.
commander est plus difficile qu'obéir.
Et vous me dites, amis, que "des goûts et des couleurs il ne faut pas
discuter". Mais toute vie est lutte pour les goûts et les couleurs!
Et quand je regardai alentour, voici que le temps désormais était mon seul
contemporain.
Lorsque hier la lune s'est levée, il me semblait qu'elle voulût mettre
au monde un soleil, tant elle s'étalait à l'horizon, lourde et pleine.
Car ceci est la vérité: je suis sorti de la maison des savants en
claquant la porte derrière moi.
Car les hommes ne sont _point_ égaux: ainsi parle la justice.
Pourquoi ? a dit Zarathoustra. Tu demandes pourquoi ? Je ne suis pas de
ceux à qui l'on peut demander d'expliquer pourquoi.
La foi ne me sauve point, dit-il, la foi en moi-même moins que toute
autre.
tous les dieux sont des symboles et des artifices de poète.
La terre, a-t-il dit, a une peau ; et cette peau a des maladies. L'une de ces
maladies, par exemple, s'appelle : "homme".
les plus grands événements - ce ne sont pas nos heures les plus bruyantes, mais
nos heures les plus silencieuses.
"Église? répondis-je, c'est une espèce d'État, et l'espèce la plus mensongère.
A travers les cercueils de verre les existences vaincues me regardaient.
"Il est difficile de vivre parmi les hommes, parce qu'il est si
difficile de se taire. Surtout pour un bavard." -
Le courage est le meilleur des meurtriers
"Il y a une chose qui sera toujours impossible - c'est d'être raisonnable!"
je n'arrive pas à comprendre que l'existence des petites gens soit _nécessaire!_
Ce que vous omettez aide à tisser la toile de l'avenir des hommes;
votre néant même est une toile d'araignée et une araignée qui vit du
sang de l'avenir.
Hélas, que ne comprenez-vous ma parole: "Faites toujours ce que vous
voudrez, - mais soyez d'abord de ceux qui _peuvent vouloir!_"
"Aimez toujours votre prochain comme vous-mêmes, mais soyez d'abord de
ceux qui _s'aiment eux-mêmes_ - qui s'aiment avec le grand amour, avec
le grand mépris!"
L'hiver, hôte malin, est assis dans ma demeure mes mains sont bleues de
l'étreinte de son amitié.
Pourquoi ramper? jamais encore, de toute ma vie, je n'ai rampé devant
les puissants; et si j'ai jamais menti, ce fut par amour.
Je commence chaque jour par une méchanceté, je me moque de l'hiver en
prenant un bain froid
Afin que personne ne puisse regarder dans l'abîme de mes raisons et de
ma dernière volonté, - j'ai inventé le long et clair silence.
Et de cette eau de vaisselle de mots ils font encore des journaux.
vers le haut s'élèvent les aspirations des poitrines sans étoies.
Quant à toi, fou, je t'apprends ceci en guise d'adieu : là où l'on ne peut plus
aimer, il faut - passer son chemin !-
Mais c'est une honte, de prier !
Ô solitude ! solitude, mon pays natal ! Trop longtemps j'ai vécu en terre
étrangère
C'est que dans la pénombre le temps est plus lourd à porter qu'à la lumière.
Chatouillée par des vents piquants comme par des vins mousseux, mon âme éternue,
- éternue et jubile en disant à elle-même : Santé !
Sur quel pont le Maintenant passe-t-il à l'Autrefois ?
Presque au berceau on nous donne déjà des mots et des valeurs pesantes :
«bien» et «mal» - ainsi s'appelle ce don que l'on nous fait. En leur nom il
nous est pardonné de vivre.
En vérité je n'aime pas non plus ceux pour qui chaque chose est bonne et pour
qui ce mon à coup sûr est le meilleur.
Je rends hommage aux langues, aux estomacs récalcitrants et difficiles qui ont
appris à dire «moi» et «oui» et «non».
Sur des chemins de toutes sortes, de diverses manières, je suis parvenu à ma
vérité. Je ne suis pas monté par une seule échelle sur les hauteurs d'où mes
yeux errent dans mes lointains.
D'ici là je me parle à moi-même comme un homme qui a du temps. Personne ne me
raconte rien de nouveau : alors je me raconte moi-même à moi-même.
Je leur ai dit de rire de leurs sages austères et de tous ceux qui lancent des
annonciations, perchés sur l'arbre de la vie comme des épouvantails noirs.
là-bas vers de lointains avenirs qu'aucun rêve n'a encore vu, vers des suds plus
ardents qu'aucun sculpteur ne les rêva : là-bas où le moindre vêtement fait
honte aux dieux qui dansent
le temps me semblait une bienheureuse raillerie contre l'instant
Celui qui ne peut pas commander il faut qu'il obéisse.
C'est la nature des âmes nobles : elles ne veulent rien avoir pour rien, et
surtout pas la vie.
Être vrai - peu en sont capables !
Il y a beaucoup de boue dans le monde ; c'est vrai ! Mais ce n'est pas pour cela
que le monde lui-même est un monstre boueux !
Dans ce qu'il y a de meilleur il y a encore de quoi se dégoûter ; et même le
meilleur est quelque chose qu'il faut dépasser.
Et ta propre raison - tu la prendras toi-même à la gorge et tu l'étrangleras ;
car c'est une raison de ce monde, - et comme cela tu apprendras à reconcer au
monde.
Et de moi vous apprendrez d'abord à apprendre, à bien apprendre ! - Celui qui a
des oreilles, qu'il entende !
Et il y a des choses de toutes sortes qui sont si bien trouvés qu'elles sont
comme les seins des femmes : utiles et agréables à la fois.
l'âme la plus sage, qui parle à la folie avec la plus grande douceur
Et souvent il y a plus de bravoure à se contenir et à passer son chemin : pour
se réserver à un plus digne adversaire !
Pourquoi si mous, si prêts à céder et à fléchir ? Pourquoi tant de négations et
de reniements dans vos coeurs ? Et si peu de destin dans vos regards ?
Car les créateurs sont durs. Et il faut que vous ressentiez la félicité
d'appuyer votre main sur les millénaires comme sur de la cire
Efface le sommeil de tes yeux en les frottant, fais-en fuir toute la stupidité
et tout l'aveuglement !
L'homme est envers lui-même la bête la plus cruelle
voici la seule chose que j'ai apprise jusqu'ici, c'est que l'homme a besoin de
ce qu'il y a de pire en lui pour atteindre ce qu'il a de meilleur
Mais l'heure vient où celui qui succombe se donne à lui-même sa
bénédiction. Ainsi - finit le déclin de Zarathoustra.
Ô mon âme, je t'ai appris à dire «Aujourd'hui» comme on dit «Autrefois» ou
«Jadis» et à danser ta ronde au-delà de tout ce qui est Ici ou Là ou Là-bas.
Mais si tu ne veux pas pleurer, si tu ne veux pas répandre en larmes le pourpre
de ta mélancolie, il faudra que tu chantes, ô mon âme !
Ah, la sagesse, cette vieille folle, cette vieille démente !
comme l'herbe et le coquelicot rouge, j'aime m'assoir dans les églises en ruine.
Qu'importe le bonheur ! [...] il y a longtemps que je n'aspire plus au bonheur,
j'aspire à mon oeuvre.
Car mon destin me laisse le temps : m'aurait-il oublié ?
Avec l'épée de ces mots tu as ébréché les plus épaisses ténèbres de notre coeur.
Plutôt ne rien savoir que savoir beaucoup de choses à demi !
juste à côté de mon savoir s'étend ma noire ignorance.
Mais là où je veux savoir je veux aussi être honnête, j'entends par là dur,
sévère, rigoureux, cruel, sans pitié.
Mais le diable n'est jamais où il faudrait qu'il soit : il vient toujours trop
tard
un bon serviteur sait tout, même bien des choses que son maître se cache à
lui-même.
assez d'un tel Dieu ! Plutôt nul Dieu, plutôt tenir en main sa destinée, plutôt
être fou, plutôt être Dieu soi-même !
seul apprend celui qui fait
Ô terre, tu es trop ronde pour moi !
et si quelque chose en moi relève de la vertu, c'est que je n'ai eu peur d'aucun
interdit.
Avec toi j'ai perdu la foi dans les mots et les valeurs et les grands noms.
Trop de choses se sont éclaircies pour moi : à présent rien ne m'importe
plus. De tout ce qui vit il n'y a plus rien que je puisse aimer, - comment
pourrais-je encore m'aimer moi-même ?
Vivre comme j'en ai envie ou ne pas vivre du tout
Silence ! Silence ! Est-ce que le monde ne vient pas de toucher à la perfection
?
Quel bonheur que si peu de chose suffise au bonheur !
Et désespérez plutôt que d'abandonner.
Ô mes frères, avez-vous du cran, avez-vous du coeur ? Je ne parle pas du courage
qui veut ses témoins, mais d'un courage d'aigle et de solitaire que même un dieu
ne voit pas.
Aujourd'hui rien n'est pour moi plus cher ni plus rare que l'honnêteté.
Celui qui ne peut pas mentir il ne sait pas ce qu'est la vérité.
Un nouvel enfant : oh ! que d'ordure nouvelle vient avec lui au monde !
Que cette terre est riche en bonnes petites choses qui sont parfaites, en choses
qui ont bien tourné !
Ce qui est parfait apprend à espérer.
Car la peur - c'est l'héritage des hommes, leur sentiment primordial ; tout
s'explique par la peur, le péché originel et la vertu originelle. Ma vertu à moi
aussi est née de la peur, ma vertu qui s'appelle : savoir.
Cette longue peur, cette vieille peur, affinée, devenue spirituelle,
intellectuelle enfin - aujourd'hui, me semble-t-il, on l'appelle : savoir.
Bref, comme dit le proverbe de Zarathoustra : «qu'importe !»
la joie est encore plus profonde que ce qui crève le coeur.
La douleur est aussi une joie, la malédiction une bénédiction, la nuit un
soleil, - partez ou apprenez ceci : un sage est aussi un fou.
«tu me plais, bonheur ! instant, reste !»
Tout cela dura longtemps, ou peu de temps : car à vrai dire pour ces choses-là
il n'y a pas de temps sur la terre.
Est-ce que je cours après le bonheur ? Je cours après mon oeuvre.
Ainsi parla Zarathoustra et il quitta sa caverne ardent et fort comme un soleil
qui s'élève derrière les montagnes sombres à l'aurore.
Nietzsche - Ecce Homo
Le degré de vérité que supporte un esprit, la dose de vérité qu'un esprit peut oser,
c'est ce qui m'a servi de plus en plus à donner la véritable mesure de la valeur. L'erreur
(c'est-à-dire la foi en l'idéal), ce n'est pas l'aveuglement ; l'erreur c'est la lâcheté...
Toute conquête, chaque pas en avant dans le domaine de la connaissance a son origine dans le courage,
dans la dureté à l'égard de soi-même
Dans mon oeuvre, mon Zarathoustra tient une place à part. Avec lui j'ai fait à l'humanité
le plus beau présent qui lui fut jamais fait.
Il me paraît aussi que les paroles les plus impertinentes, la lettre la plus insolente, ont quelque
chose de plus poli, de plus honnête que le silence.
Contre tout cela le malade ne possède qu'un seul grand remède, je l'appelle le fatalisme russe,
ce fatalisme sans révolte dont est animé le soldat russe qui trouve la campagne trop rude, et finit
par se coucher dans la neige.
Libérer l'âme du ressentiment, c'est le premier pas vers la guérison.
Se considérer soi-même comme une fatalité, ne pas vouloir se faire "autrement" que l'on est,
dans des conditions semblables, c'est la raison même.
je n'attaque que les choses contre lesquelles je ne trouverais pas d'allié, où je suis seul à
combattre, seul à me compromettre... Je n'ai jamais fait publiquement un pas qui ne m'eût compromis.
C'est là chez moi le critérium de la véritable façon d'agir.
attaquer c'est chez moi une preuve de bienveillance ; dans certains cas c'est même un témoignage
de reconnaissance.
Moi-même, bien que je sois par principe un ennemi du christianisme, je suis loin d'en vouloir
aux individus à cause d'une chose qui est la fatalité de plusieurs milliers d'années.
mon "humanité" ne consiste pas à sympathiser avec mon prochain, mais à supporter que
je le sente près de moi. - Mon humanité est une perpétuelle victoire sur moi-même.
Pourquoi je sais certaines choses de plus que les autres ? pourquoi, d'une façon générale,
je suis si malin ? - Je n'ai jamais réfléchi à des questions qui n'en sont pas, je ne me
suis jamais gaspillé.
«Dieu», «l'immortalité de l'âme», «le salut», «l'au-delà»,
ce sont là des conceptions auxquelles je n'ai pas accordé d'attention, au sujet desquelles je
n'ai pas perdu mon temps
L'athéisme n'est pas chez moi le résultat de quelque chose et encore moins d'un événement de ma
vie : chez moi il va de soi, il est une chose instinctive.
La meilleure cuisine est celle du Piémont.
il faudrait que je fusse chrétien, je veux dire qu'il faudrait que j'eusse la foi, ce qui est
pour moi une absurdité.
il semble bien que pour la notion de «vérité» me voilà encore en désaccord avec tout
le monde.
Pascal, [...] la victime la plus intéressante du christianisme
Nous avons tous peur de la vérité...
Je n'ai pas souvenir d'avoir jamais fait un effort en vue de quelque chose
Je ne souhaiterais nullement que les choses fussent autrement qu'elles ne sont ; moi-même je ne
veux pas changer... Mais c'est ainsi que j'ai toujours vécu. Je n'ai jamais eu de désir.
Tout ce que l'humanité a évalué sérieusement jusqu'à présent, ce ne sont même pas des réalités,
ce ne sont que des chimères, plus exactement des mensonges, nés des mauvais instincts
de natures maladives et foncièrement nuisibles - toutes les notions, telles que
«Dieu», «l'âme», «la vertu», «le péché»,
«l'au-delà», «la vérité», «la vie éternelle».
La vie m'est apparue facile, le plus facile quand elle exigeait de moi les choses les plus difficiles.
je n'ai écrit que des choses de premier ordre, des choses que personne ne pourrait imiter ou m'enseigner
A une époque où j'étais absurdement jeune, à l'âge de sept ans, je savais déjà qu'aucune parole humaine
ne pourrait jamais m'atteindre
En ce qui me concerne personnellement, je ne suis pas encore d'actualité. Quelques-uns naissent d'une
façon posthume.
il faut que la «dureté» fasse partie de vos habitudes, pour être joyeux et de bonne humeur
au milieu des dures vérités.
La morale elle-même considérée comme un symptôme de décadence, c'est là une innovation, une chose
unique et de premier ordre dans l'histoire de la connaissance.
Admettons que mon attentat contre vingt siècles de contre-nature et de violation de l'humanité réussisse.
la plus belle de toutes les tâches, la discipline et le perfectionnement de l'humanité
l'événement qu'est Zarathoustra, un acte prodigieux de purification et
de sanctification de l'humanité
Ils croient tous encore à l'«Idéal»... Je suis le premier immoraliste.
Ce que je suis aujourd'hui, où je suis aujourd'hui - une hauteur où je ne
parle plus avec des mots, mais avec des coups de foudre - ô combien loin j'en étais alors encore!
ce besoin d'assoupir le sentiment de vide et d'inanition du coeur à l'aide d'un art qui
sert de narcotique
les «saints», ces calomniateurs du monde qui souillent la race humaine.
Avant Zarathoustra, il n'existait pas de sagesse, pas de recherche de l'âme, pas d'art de la parole
Un grand vent souffle à travers les arbres, et, de tous les côtés, les fruits tombent sur le sol -
ce sont des vérités.
Le christianisme, c'est cette négation de la volonté de vivre érigée en religion...
il n'y a rien de plus menteur qu'un saint
Mon génie se trouve dans mes narines.
Je suis de beaucoup l'homme le plus terrible qu'il y eut jamais ; cela n'exclue pas que je devienne
le plus bienfaisant.
Zarathoustra créa cette fatale erreur qu'est la morale ; par conséquent il doit aussi être le
premier à reconnaître son erreur.
La victoire de la morale sur elle-même, par véracité, la victoire du moraliste sur lui-même,
pour aboutir à son contraire, à moi, c'est ceci que signifie dans ma bouche le
nom de Zarathoustra.
Zarathoustra fut le premier à comprendre que l'optimiste est aussi décadent que le pessimiste
et peut-être plus nuisible.
j'ai choisi le mot immoraliste insigne et comme emblème pour moi.
Avant moi, il n'y a pas eu de psychologie.
ce qui me met à part de tout le reste de l'humanité, c'est d'avoir découvert la
morale chrétienne. [...] De n'avoir pas ouvert les yeux plus tôt, à ce sujet, c'est pour
moi la plus grande malpropreté que l'humanité ait sur la conscience.
L'aveuglement devant le christianisme, c'est là le crime par excellence -
le crime contre la vie.
La morale chrétienne - la forme la plus maligne de la volonté du mensonge - elle est
la Circé de l'humanité, c'est elle qui l'a corrompue.
On a enseigné à mépriser les tout premiers instincts de la vie ; on a imaginé par le
mensonge l'existence d'une «âme», d'un «esprit», pour faire
périr le corps
ce n'est pas l'humanité qui est en dégénérescence, c'est seulement cette espèce parasitaire
d'hommes, l'espèce des prêtres, qui, par le monde, en s'aidant du mensonge,
est parvenue à s'élever à la qualité d'arbitre pour la détermination des valeurs,
qui a trouvé dans la morale chrétienne un moyen pour parvenir à la puissance...
La découverte de la morale chrétienne est un événement qui n'a pas son égal,
une véritable catastrophe.
La notion de «Dieu» a été inventée comme antinomie de la vie - en elle se résume,
en une unité épouvantable, tout ce qui est nuisible, vénéneux, calomniateur, toute
l'inimité contre la vie.