Bachelard - La formation de l'esprit scientifique
Tout savoir scientifique doit être à tout moment reconstruit.
L'abstraction est un devoir, le devoir scientifique, la possession enfin épurée de la pensée du monde !
La science est l'esthétique de l'intelligence.
Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit.
L'homme qui suit les lois du monde obéit déjà à un grand destin.
L'esprit scientifique doit se former en se réformant.
C'est de l'homme aujourd'hui que l'homme peut recevoir ses plus grandes souffrances.
le vertige qui nous prend devant les profondeurs de l'inconnu !
Bien des vocations de chimistes commencent par un accident.
Mieux vaudrait une ignorance complète qu'une connaissance privée de son principe fondamental.
La science a dû modifier ses principes fondamentaux. Ainsi prit naissance la science relativiste.
Un coeur honnête, une âme blanche, animée de forces saines, réconciliant sa nature particulière et la nature universelle trouvera naturellement la vérité. Il la trouvera dans la nature parce qu'il la sent en lui-même. La vérité du coeur est la vérité du Monde.
La richesse d'un concept scientifique se mesure à sa puissance de déformation.
Ce qui limite une connaissance est souvent plus important, pour les progrès de la pensée, que ce qui étend vaguement la connaissance.
Une connaissance générale est presque fatalement une connaissance vague.
L'intuition première est un obstacle à la pensée scientifique.
Sans doute, tout auteur est animé par le désir de valoriser le sujet qu'il a choisi. Il veut montrer, dès sa préface, qu'il tient un sujet.
L'homme ne sait pas limiter l'utile.
La maturité scientifique ne va de pair avec la maturité psychologique.
Il suffit d'accumuler l'irrationnel pour donner l'illusion de la réalité.
Tout travail patient et rythmique, qui réclame une longue suite d'opérations monotones, entraîne l'homo faber à la rêverie.
Il faudra dévaloriser le produit d'un travail patient si l'on veut psychanalyser la connaissance objective.
Tous les avares sont réalistes.
Rien ne se perd, rien ne se crée, est un dire d'avare.
Le signe premier de la certitude scientifique, c' est qu'elle peut être revécue aussi bien dans son analyse que dans sa synthèse.
Le meilleur est le plus caché.
C'est alors la passion vraie qui forme obstacle à la rectification de l'idée fausse.
Pas de sympathie sans réciproque.
Soyez triste et vous serez philosophe.
La valeur est la qualité occulte la plus insidieuse. C'est elle qu'on exorcise la dernière. Car c'est elle à laquelle l'inconscient s'attache le plus longtemps, le plus énergiquement.
Il semble que la végétation soit un objet vénéré par l'inconscient. Elle illustre le thème d'un devenir tranquille et fatal.
Mais parfois l'indice provoque une déviation totale.
Aux hommes les plus cultivés, il suffit parfois d'un commencement ou d'un prétexte de rationalisation pour accepter la science de la baguette magique.
Le réaliste est un mangeur.
Le réel est de prime abord un aliment.
Si l'intelligence se développe en suivant la main qui caresse un solide, l'inconscient s'invétère en mâchant, à pleine bouche, des pâtes.
Diderot n'aime pas les bouillies ! Rien n'est tant raisonné que l'alimentation chez les bourgeois.
On ne critique pas la technique de ses pères.
Tout se mange. Réciproquement, tout est mangé.
On ne croit pas avoir d'autres moyens de triompher de l'obstacle qu'en l'amoindrissant, qu'en le tournant. On ne sent pas que l'obstacle est dans l'esprit même.
Les matières fécales ont fait l'objet de nombreuse distillations.
L'avoir et l'être ne sont rien devant le devenir.
C'est, comme on le voit, la complainte du mal marié. On l'imagine assez bien dans la bouche d'un savant qui quitte son foyer pour son laboratoire, qui vient chercher près des beautés de la science des extases que lui interdit son épouse disgraciée.
C'est la nuit, quand l'alchimiste rêve auprès du fourneau, quand l'objet n'est encore que désir et espoir, que s'assemblent les métaphores.
Il semble que l'effort littéraire nous a habitués aux images gratuites, aux images d'une heure, aux images qui, sans s'attacher aux choses, se bornent à en traduire des nuances fugitives.
Tout travail instruit est monotone.
Si l'on va au fond des âmes, si l'on revit l'homme dans son long travail, dans son travail facile dès qu'il est maîtrisé, dans le geste même d'un effort bien conduit, il faut nous souvenir que sa pensée rêvait et que sa voix traduisait sa caresse par des chants.
Si l'on voulait bien examiner ce qui se passe dans un esprit en formation, placé devant une expérience nouvelle, on serait surpris de trouver de prime abord des pensées sexuelles.
Ils jugent plus qu'ils n'enseignent ! Ils ne font rien pour guérir l'anxiété qui saisit tout esprit devant la nécessité de corriger sa propre pensée et de sortir de soi pour trouver la vérité objective.
Il faut réfléchir pour mesurer et non pas mesurer pour réfléchir.
Une précision sur un résultat , quand elle dépasse la précision sur les données expérimentales , est très exactement la détermination du néant.
Les déterminations numériques ne doivent en aucun cas dépasser en exactitude les moyens de détection.
Ils croient faire une expérience de physique ; ils font, dans de très mauvaises conditions, une expérience sur la physiologie des émotions.
Il faut affirmer que tout n'est pas possible, dans la culture scientifique, et qu'on ne peut retenir du possible , dans la culture scientifique , que ce dont on a démontré la possibilité.
L'abandon des connaissances de sens commun est un sacrifice difficile. Nous ne devons pas nous étonner des naïvetés qui s'accumulent sur les premières descriptions d'un monde inconnu.
L'hostilité aux mathématiques est un mauvais signe quand elle s'allie à une prétention de saisir directement les phénomènes scientifiques.
Mais l'enseignement des résultats de la science n'est jamais un enseignement scientifique.
On ne peut retenir qu'en comprenant.
Quand le résultat correct est maintenu dans la mémoire, c'est souvent grâce à la construction de tout un échafaudage d'erreurs.
Peu à peu j'essayais de désancrer doucement l'esprit de son attachement à des images privilégiées. Je l'engageais dans les voies de l'abstraction, m'efforçant de donner le goût des abstractions. Bref, le premier principe de l'éducation scientifique me parait, dans le règne intellectuel, cet ascétisme qu'est la pensée abstraite.
L'esprit scientifique se constitue comme un ensemble d'erreurs rectifiées.
C'est à partir d'une spécialité que le savant veut et cherche la synthèse.
Pas de vérité sans erreur rectifiée.
L'homme qui aurait l'impression de ne se tromper jamais se tromperai toujours.
Avouons donc nos sottises pour que notre frère y reconnaisse les siennes.
Une instruction qu'on reçoit sans la transmettre forme des esprits sans dynamisme, sans autocritique.
Avoir raison des hommes par les hommes, doux succès où se complaît la volonté de puissance des hommes politiques !
Pour apprendre aux élèves à inventer, il est bon de leur donner le sentiment qu'ils auraient pu découvrir.
Le savant est placé devant la nécessité, toujours renaissante, du renoncement à sa propre intellectualité.
Je veux savoir pour pouvoir savoir, jamais pour utiliser.
L'homme est homme parce que son comportement objectif n'est ni immédiat ni local.
La pensée scientifique moderne réclame qu'on résiste à la première réflexion.
L'intérêt à la vie est supplanté par l'intérêt à l'esprit.
Le cerveau est l'obstacle à la pensée scientifique. Il est un obstacle en ce sens qu'il est un coordonnateur de gestes et d'appétits. Il faut penser contre le cerveau.
Cette volonté d'esprit, si nette chez quelques âmes élevées, n'est de toute évidence pas une valeur sociale.
Auteurs cités
KIPLING : Si tu peux voir s'écrouler soudain l'ouvrage de ta vie, et te remettre au travail, si tu peux souffrir, lutter, mourir sans murmurer, tu seras un homme, mon fils.
R.P. Louis CASTEL : Tout le monde est un peu Physicien, plus ou moins suivant qu'on a l'esprit plus ou moins attentif, et capable d'un raisonnement naturel.
OSTWALD : Quel que soit le phénomène considéré, il y a toujours un nombre extrêmement considérable de circonstances qui sont sans influence mesurable sur lui.
HITCHCOCK : Le grand effet de l'Amour est de tourner toute chose en sa propre nature, qui est toute bonté, toute douceur et toute perfection.